Cercle de la tache d'encre noire, cercle de la cible, cercle du vide dans la sarbacane...
Le cercle est une
forme idéale pour symboliser le Tout.
Mais la
forme n'est qu'un tremplin
pour l'attention ; ce qui importe surtout,
c'est la qualité d'attention posée sur cette
forme. Ainsi, simplement en traçant des cercles,
nous allons voir que nous pouvons visiter
nos modes d'attentions et de vigilance.
Constater aussi que
nous disposons d'une riche palette de types
d'attentions, dont nous faisons bien peu usage.
Voyons comment nous pouvons appréhender
le cercle et le "Tout" qu'il représente.
Pour cela nous n'avons pas besoin d'instrument,
ni même de papier, simplement tracer des cercles
avec la main
dans le vide devant soi, va se révéler
parfaitement approprié pour observer-expérimenter
les gestes de l'esprit qui accompagnent les
gestes de nos tracés.
(1èR cercle) "Le laisser-faire"
Pour manifester ce premier cercle,
ce premier degré d'attention (ou plutôt d'inattention), vous
allez laisser l'une de vos mains tracer des
cercles comme ça, toute seule... je vous invite
même à penser à autre chose, à faire autre
chose en même temps, tout en laissant votre
main faire ses ronds sans vous...
Ce sont des cercles
qui se font automatiquement, un peu comme
des réflexes conditionnés: il y a en nous
un programme instinctivo-moteur conçu pour
ça.
Si vous placiez un
crayon entre vos doigts, les cercles qui se
dessineraient seraient probablement assez
bien profilés.
Nous faisons quotidiennement
de ces gestes de grande précision, sans avoir
besoin de les éclairer d'attention.
Bien sûr, il n'y a pas grand chose
à observer sur ce premier cercle puisque,
justement, sa qualité d'attention, c'est qu'il
se réalise sans votre attention. Si vous l'observez,
il devient caduc.
(2ème cercle) "Le faire"
Réalisons à présent un autre cercle
que nous pourrions appeler le cercle du "bien faire", ou cercle de la "focalisation".
Cette fois, ce cercle
réclame toute votre attention car il se fait
lui, avec le maximum d'application. On ne
doit plus penser qu'à ça et à rien d'autre.
Pour cela on
concentre, on focalise son attention
sur ce seul acte. On affûte son esprit et
son regard, on les pointe sur la pointe de
son doigt (ou de son crayon. Certains pointent même leur
langue hors de leur bouche). Ceci est
un cercle de "bon élève", il faut
faire de son mieux.
Curieusement, si l'on
est pas très habile, pas très doué pour le
dessin, ce cercle risque de se révéler moins
bien exécuté que le premier cercle qui se
faisait tout seul. Une attention maladroite
peut desservir la fluidité du geste au lieu
de produire l'amélioration recherchée. Si
c'est le cas, cette fréquence d'attention
étant aussi celle de la persévérance et de
l'entraînement par la répétition, jour après
jour l'on y fait des progrès et, un beau jour,
le cercle devient parfait.
Ce type d'attention est le plus utilisé
actuellement dans nos modes d'enseignement
et d'apprentissage.
(3ème
cercle) "La
porte du non-faire"
(porte de la vacuité, agir par le non-agir)
Ce
troisième cercle est un peu comme la fusion
des deux premiers. En effet, il ressemble
au premier puisqu'il se fait tout seul mais,
cette fois, nous sommes entièrement attentifs
à ce qui se produit.
Vous laissez le cercle se tracer tout seul, par contre
votre attention ne perd pas une miette de
ce qui se vit, tant au-dehors qu'au-dedans
de vous.
Cette fois, c'est une attention défocalisée qui se trouve induite.
Alors on ne fait
plus le geste, on est
le geste, on est le cercle. On se laisse saisir
par le ressenti du cercle. Notre souffle devient
cercle, notre conscience devient cercle...
on distille, on goûte ce cercle avec tous
nos sens... dans ses moindres nuances.
C'est comme si ce cercle avait la qualité de notre
souffle, c'est un peu comme si nous modelions-caressions
de la main la substance de notre respiration.
«Le
bout des doigts laisse comme une trace de
souffle dans l'espace...»
Ce
tracé émane d'une main que l’on ressent comme
étant très exactement à sa place dans l'espace.
Et si l'on glisse un pinceau entre nos doigts,
quelle que soit la qualité du cercle que nous
produisons, nous le ressentons "exact",
ou plutôt comme exactement ce que nous sommes.
Ce cercle comme les deux premiers, est un
miroir, mais à présent, l'on accepte de s'y
voir.
Nous sommes là, à la porte du "non-faire",
du "non agir", juste à l'articulation.
Ici, nous appelons cela se poser sur "les lignes
d'évidence".
(Tout simplement
parce "l'évidence" est le sentiment
que l'on éprouve tout au long de son tracé.)
Etonnamment,
alors que ce type d'attention est très facilement
accessible, vraiment très proche de nous, bien peu de personnes s'y
posent. L'on passe son existence surtout dans
les deux premiers cercles, consacrant peu
de temps à cette troisième fréquence d'attention
qui pourtant nous est si naturelle, si simple
et tellement agréable.
Toutefois,
la cohérence corps-esprit induite par ce troisième
cercle peut devenir telle qu'elle peut enivrer.
Les sensations "sacré-sucré",
et les états de grâce qui en résultent, peuvent
fasciner à tel point que l'on reste extasié
dans ce courant d'air vital, juste sur le
bord de cette porte de vacuité, pensant que
l'on a atteint là une sorte "d'ultime...".
Cette ivresse peut devenir l'obstacle à la maturation
du 4ème cercle : le "non faire",
"non-agir".
(4ème
cercle) "Le
non-faire"
(ou focaliser sa défocalisation)
Le vécu de ce cercle peut encore
être commenté... Cependant, je ne peux vous
inviter à le produire, car c'est la pratique
du cercle précédent qui nous l'enseigne.
A partir d'ici, plus que jamais, il devient évident
que c'est l'expérimentation du territoire
de la conscience et l'auto-enseignement qui nous en donne l'usage.
Ce
quatrième cercle
ressemble au précédent mais, alors
que le troisième cercle nous "saisissait"
dans ses volutes, ici, nous le
saisissons dans le même temps où il nous
saisit.
Cela se traduit par la possibilité d'agir à nouveau
d'une façon très pragmatique. (
L'agir par le non-agir du Zen.)
Lâcher prise et prise de décision ne faisant plus qu'un,
voilà qu'au sein même de la défocalisation
induite par la vacuité, l'on produit un acte
focalisé, de l'exacte précision et efficacité
voulues. (En fait, c'est comme si "le vouloir"
prenait un tout autre chemin.)
C'est le cercle de la calligraphie dans les voies du
Taoïsme et du Zen. En fait, sur cette fréquence
se posent toutes les disciplines permettant
de révéler ce type de vigilance. Là se trouve aussi l'espace
où Sarbacana s'épanouit et délivre tout son
sens.
Ici, nous nommons les gestes produits sur cette fréquence
d'attention "les lignes de conscience".
L'ouverture de l'attention ne s'arrête pas à ce 4ème cercle mais, au delà, les mots ne peuvent
vraiment plus nous suivre, nous traversons
plusieurs couches de paradoxes qui déstructureraient
totalement tout discours qui chercherait à
s'y poser.
Le vécu de conscience qui s'y trouve induit fait qu'ici,
dans la pratique, nous nommons cela "les
lignes de sens".
«Nous baignons dans du "sens", par contre, donner du sens a perdu
lui, tout son sens.»